Le placement de valeurs patrimoniales est une affaire très personnelle, qui s’accompagne souvent aussi de toute une série d’émotions. Quand les marchés tendent à la hausse, l’investissement fait plaisir. Par contre, quand les fluctuations deviennent importantes et que des corrections surviennent, le regard sur le portefeuille suscite crispation, frustration, voire stress. Nous avons prévu une série d’articles pour décrire quelques-uns des pièges psychologiques les plus fréquents dans lesquels tombent les investisseurs :
Pour permettre à nos clientes et clients d’éviter ces pièges, nous soulignons souvent dans nos entretiens avec eux que la réussite d’un investissement dépend de trois facteurs fondamentaux: une analyse sobre et fondée des opportunités et risques des marchés financiers, une stratégie d’investissement appropriée et, surtout, une grande discipline dans la mise en œuvre de cette stratégie. C’est en prenant conscience de ces liens de cause à effet et en choisissant en conséquence la solution de placement adéquate que l’on peut créer les conditions requises pour un succès à long terme de ses investissements.
Pièces psychologiques pour les investisseurs : Pourquoi il est difficile d’investir de manière disciplinée
- Les recherches confirment que le comportement de l’être humain n’est pas parfaitement rationnel.
- L’être humain peine à évaluer correctement les événements, tant probables qu’improbables.
- L’hypothèse selon laquelle un événement est d’autant plus probable qu’il a été constaté souvent par le passé mène régulièrement à de mauvaises décisions.
Si vous voyagez et passez beaucoup de temps dans les aéroports, vous avez certainement repéré les ouvrages de finance qui remplissent les rayons des librairies dans les terminaux. On y trouve toute une panoplie de guides qui
promettent de faire de nous des investisseurs accomplis. C’est à croire que si nous les lisons, nous doublerons, triplerons, voire multiplierons par dix notre mise de départ en un rien de temps, nous gagnerons à tous les coups en bourse sans commettre le moindre faux pas et nous saurons tirer parti du prochain rebond ou krach boursier.
On se demande qui peut bien lire de tels ouvrages, et encore plus qui les écrit. Les investisseurs qui réussissent n’ont-ils rien de mieux à faire que de remplir des pages pour les kiosques des aéroports ? Ou s’improvisent-ils écrivains pour arrondir leurs fins de mois parce qu’ils ne sont pas aussi talentueux qu’ils le prétendent ?
Je tiens à préciser que bien plus d’économistes aisés – ils sont rares – ont fait fortune en écrivant des livres qu’en boursicotant. Seuls viennent à l’esprit deux économistes réputés qui étaient également doué en bourse: David Ricardo (1772– 1823) et John Maynard Keynes (1883–1946).
De très nombreux investisseurs ne rencontrent qu’un médiocre succès parce qu’ils manquent de discipline.
Tous deux ont écrit des livres, mais pas pour relater leurs succès d’investisseurs. Leurs ouvrages sont des traités de macroéconomie et de politique économique.
Trois qualités caractérisent selon nous un investisseur prospère. Tout d’abord, l’investisseur doit suivre une stratégie d’investissement précise, qu’il aura arrêtée en fonction de ses besoins personnels, de facteurs exogènes, des objectifs qu’il souhaite atteindre et du risque qu’il est réellement capable d’assumer. Ensuite, il doit analyser minutieusement les marchés financiers afin d’identifier les occasions qui se présentent, mais aussi les risques qu’il encourt.
Troisième et dernier point, décisif à nos yeux, l’investisseur doit être discipliné. En d’autres termes, il ne doit pas s’écarter
un instant de la stratégie de placement définie. En fin de compte, seule la mise en œuvre rigoureuse d’une stratégie prédéterminée garantit le succès des investissements à long terme.
Mais c’est justement là que le bât blesse le plus souvent. De très nombreux investisseurs ne rencontrent qu’un médiocre
succès parce qu’ils manquent de discipline. Pourquoi donc? La théorie économique repose sur l’hypothèse que l’être humain est rationnel et agit en tant que tel. Selon le modèle de l’«homo oeconomicus», nous sommes tous semblables à des ordinateurs programmés pour effectuer des calculs économétriques. Avant de prendre une décision, nous comparons les avantages qu’elle nous procurera à ce qu’elle nous coûtera. Nous tirons le meilleur parti des informations disponibles et nous nous servons de notre maîtrise des statistiques pour maximiser les probabilités de risque et de gain.
Il est évident que la plupart d’entre nous ne se reconnaîtront pas dans cette caricature. Nous prenons beaucoup de
décisions sous l’effet de nos émotions, de nos sentiments ou de nos humeurs, et pas forcément en faisant appel
à notre raison. Cependant, nous pensons pouvoir prendre une décision sans être influencés par nos émotions si l’enjeu
est de taille. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. Des psychologues ont prouvé dès les années 60 par des expériences simples, que les êtres humains avaient tendance à prendre systématiquement de mauvaises décisions et
étaient soumis à ce qu’on appelle la «distorsion cognitive».
Ces recherches, et en premier lieu les travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky (le premier a remporté le prix Nobel d’économie en 2002 pour ces traveaux, le second était déjà décédé), nous apprennent que notre processus de prise de décision fait appel à deux mécanismes. Le premier, appelé système 1 par Daniel Kahneman, est celui de la pensée rapide, intuitive, qui nous fait prendre une décision avant même que nous en prenions conscience. Le deuxième mécanisme de réflexion (système 2) est beaucoup plus lent et nécessite une grande quantité d’énergie. C’est pourquoi nous décidons de l’utiliser uniquement lorsque nous sommes confrontés à des problèmes complexes. Quelle est donc la raison d’être de ce système décisionnel à deux étages?
Imaginez que vous vous promeniez dans la savane il y a 80.000 ans de cela. Tout à coup, vous entendez un bruissement
dans les hautes herbes. Vous faites alors appel au système 2, le système rationnel, pour déterminer s’il s’agit ou non d’un tigre à dents de sabre. Mais le temps que vous vous accorderez à réfléchir vous fera perdre l’avance dont vous auriez besoin pour sauver votre vie si vous étiez réellement la proie de ce féroce animal. Si vous vous mettez à courir avant même de réfléchir, vous avez de meilleures chances d’en réchapper. Conclusion: dans cette situation, le système 1 l’emporte sur le système 2. Le pire qu’il puisse vous arriver, c’est d’avoir couru pour rien car il ne s’agissait pas d’un tigre à dents de sabre.
Mais un système valable pour survivre dans la savane il y a de cela 80 000 ans peut rapidement s’avérer fatal dans notre monde moderne, surtout si nous devons prendre des décisions complexes et mûrement réfléchies, comme par exemple en matière d’investissements. Or, les investisseurs ont tendance à recourir au système n°1 pour prendre leurs décisions de placement. Prenons un exemple:
A votre avis, laquelle des deux affirmations suivantes est la plus probable?
- Une nouvelle escalade de la crise de l’euro est possible.
- Les finances de la Grèce sont à nouveau dans le rouge et le pays doit demander au plus vite de nouvelles aides à l’UE pour ne pas sombrer dans le marasme. Sous la pression exercée par le parti politique allemand «Alternative für Deutschland» sur les autres partis, le premier contributeur au budget européen refuse de payer, ce qui pourrait raviver la crise de l’euro.
La plupart d’entre nous jugeront le deuxième scénario plus probable parce qu’il repose sur une argumentation franche et donne des précisions. Plus un scénario est détaillé, plus nous pouvons nous le représenter et plus nous l’estimons probable. Or, cette perception contredit une règle fondamentale de la théorie des probabilités qui veut qu’un événement soit de plus en plus improbable à mesure qu’on lui ajoute des détails. Bien des événements pourraient ravi- ver la crise de l’euro. Le Portugal, l’Espagne, la France ou Chypre, peuvent se retrouver en difficulté. Le scénario grec n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres. Par conséquent, la deuxième affirmation est moins probable que la première.
Toujours dans le domaine statistique, nous pouvons évoquer l’heuristique de disponibilité. Plus nous avons été témoins d’un événement par le passé, plus son occurrence nous semble probable. Les événements rares, ou plutôt qui nous semblent rares, nous apparaîtront moins probables. Aux Etats-Unis, a-t-on plus de chances de mourir dévoré par des requins ou écrasé par des débris tombés d’avions en vol? Vous opterez probablement pour la première solution puisque les attaques de requins sont très médiatisées. Mais en réalité, la probabilité de mourir écrasé des débris tombés d’avions en vol (1 sur 10 millions) est trente fois plus élevée que celle de succomber à la morsure d’un requin (1 sur 300 millions).
L’heuristique de disponibilité explique donc pourquoi la plupart des investisseurs, analystes et économistes ont été incapables d’identifier la bulle Internet de l’an 2000 ou la bulle de l’immobilier résidentiel américain en 2007.
Rappelez-vous: l’ex-gouverneur de la Fed, Ben Bernanke, prédisait encore en 2006 que la hausse des prix des maisons
aux Etats-Unis se poursuivrait, arguant que jamais une correction ne s’était propagée à l’ensemble du marché immobilier résidentiel américain. Aujourd’hui, suite aux expériences des années 2000 et 2007/2008, la formation de bulles sur les marchés nous semble nettement plus probable. Et presque aucun jour ne passe sans que l’un ou l’autre spécialiste des investissements ne prédise la prochaine hécatombe financière. Mais quant à savoir combien de ces prévisions reposent sur une analyse sérieuse et combien sur l’heuristique de disponibilité, c’est une autre histoire.